Récemment, le Burkina Faso, le Niger, le Mali et le Sénégal ont annoncé leurs volontés de sortir du franc CFA. Ces annonces mettent en lumière des questionnements autant sur les raisons que sur les conséquences d’un rejet du franc CFA, présent dans quatorze pays d’Afrique. Risk & Ops vous propose un état des lieux ainsi que les perspectives concernant le franc CFA.
Le franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, lorsque la France a ratifié les accords de Bretton Woods et procédé à sa première déclaration de parité au FMI. Il signifie alors "franc des Colonies Françaises d’Afrique" et est la seule et unique monnaie légale des colonies françaises. Par la suite, lors de l’indépendance des territoires colonisés, certains États, tels que la Guinée en 1960, se retire du franc CFA. La Guinée Bissau, ancienne colonie portugaise, va quant à elle rejoindre le franc CFA en 1997.
Ces États vont ensuite progressivement se regrouper en deux ensembles distincts :
- L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) : composé de 8 États, où le franc CFA signifie « Franc de la Communauté Financière Africaine » (code XOF).
- La Communauté économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) : composé de 6 États, où le franc CFA signifie « Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale » (code XAF).
Bien que les devises XOF et les XAF soient désignés communément sous le même nom de franc CFA, elles ne sont pas échangeables entre les deux zones.
N.B : La « zone franc » dans son ensemble regroupe les États utilisant le franc CFA, les Comores avec le franc comorien et la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles de Wallis-et-Futuna avec le franc pacifique.
Aujourd’hui, c’est au sein de l’UEMOA que les critiques envers le franc CFA sont les plus fortes. En effet, d’un côté, Bassirou Diomaye Faye, le nouveau président élu au Sénégal, a fait de la sortie du franc CFA l’une de ses promesses de campagne, dénonçant le franc CFA comme une entrave pour le développement économique et la souveraineté du pays. De l’autre, les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), organisation créée en septembre 2023 et regroupant le Mali, le Niger et le Burkina Faso, ont annoncé leur volonté de sortir du franc CFA, ainsi que leur retrait de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), afin de recouvrer leur souveraineté.
L’ECO : la nouvelle monnaie censée remplacer le franc CFA
L’ECO a été annoncé comme le nouveau nom du franc CFA pour la zone UEMOA en mai 2020, lorsque les présidents ivoirien et français ont entériné officiellement la réforme du franc CFA annoncée en décembre 2019. Cette étape s’inscrit comme une transition vers une future monnaie commune pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), projet dont les 15 pays membres discutent depuis près de 30 ans. L’objectif serait ainsi, dans un premier temps, de basculer vers l’ECO dans les huit pays de l’UEMOA puis d’accueillir les sept pays anglophones dans un régime de change flexible (et de sortir ainsi de la parité fixe avec l’euro). Néanmoins, alors que la mise en place de l’ECO dans l’UEMOA devait avoir lieu en 2020, elle a été reportée à 2027, notamment à cause de la crise Covid et de la guerre en Ukraine.
Concernant le Sénégal, deux scénarios sont possibles. En effet, son nouveau président a déclaré que le pays allait dans un premier temps tenter d’impulser les réformes censées aboutir à une monnaie unique, l’ECO, pour l’ensemble des pays de la CEDEAO et donc réaliser une sortie collective du franc CFA. Et, si ces réformes n’aboutissent pas, il a indiqué que le Sénégal se doterait alors de sa propre monnaie.
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont quant à eux pour objectif de sortir du franc CFA afin de créer une monnaie commune. Ainsi, en novembre 2023, les ministres des Finances des trois pays ont esquissé les premières bases de cette éventuelle politique monétaire commune dans une déclaration. Ils y annoncent notamment la future mise en place d’un fond de stabilisation, d’une banque d’investissement et d’un comité qui décidera des critères à respecter dans la future union monétaire et économique.
Ainsi, en sortant du franc CFA ces trois pays (et éventuellement le Sénégal dans le cas d’une sortie individuelle), devront se doter d’une Banque Centrale souveraine au niveau national, avec une politique monétaire qui vise à émettre la nouvelle monnaie et qui serait garante du système bancaire et financier au niveau national.
De nombreux économistes s’accordent sur les prérequis pour créer, avec succès, une nouvelle monnaie. Selon eux, il serait essentiel de posséder des institutions politiques stables où l’État de droit est assuré, afin que les agents économiques aient confiance en la nouvelle monnaie. Il serait également essentiel de posséder de grandes réserves de changes (or et devises) afin d’asseoir une stabilité monétaire. Ainsi, selon l’économiste malien Mobido Mao Makalou, l’annonce de la mise en place d’un fond de stabilisation par l’AES serait une protection pour la monnaie et pour l’économie en cas de chocs.
Par ailleurs, selon l’économiste associé à l’IRIS Emilie Laffiteau, les accords qui seront négociés entre les pays sortant du franc CFA et les pays qui y resteront affiliés, par exemple en matière de frais et droits de douane, seront déterminants pour l’avenir de ces pays. Dans le cas où ces différents prérequis ne seraient pas réunis, cette même économiste indique que ces pays risqueraient de voir leur nouvelle monnaie dévaluée, ce qui entraînerait de l’inflation et une augmentation du coût de l’endettement. Ce qui pourrait, à terme, faire entrer ces pays dans une spirale dévaluation-inflation pouvant aller jusqu’au défaut de paiement de l’État et à des crises économiques systémiques.
Par ailleurs, selon l’économiste et ancien ministre de la Prospective et de l'Évaluation des politiques publiques du Togo, actuellement commissaire de l'UEMOA chargé de l'Agriculture, des Ressources en eau et de l'Environnement, Kako Nubukpo : si Bassirou Diomaye Faye et son gouvernement décidait de s’allier aux trois États de l’AES, en allant vers une nouvelle monnaie commune, l’avenir de l’UEMOA serait clairement en sursis : le Sénégal et les trois États de l’AES représentant 45% du PIB de l’UEMOA
De plus, nous observons que les raisons de ce rejet, présent autant dans l’opinion publique que les milieux intellectuel et politique, sont multiples. Nous pouvons retenir les principales :
Sur le plan économique et monétaire, les principales raisons énoncées par les économistes et chercheurs, pour lesquelles le franc CFA semble inadapté aux économies, sont :
La politique monétaire de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest). Cette dernière s’aligne en effet sur les politiques monétaires pratiquées dans la Zone Euro pour maintenir un taux d’inflation aux standards européens. Or, pour plusieurs économistes, cela ne convient pas aux besoins de développement ces pays.
La faiblesse du commerce intracommunautaire. Selon les chiffres du ministère de l’Economie français, en 2021, 14,7% du total des exportations des pays de l’UEMOA s’effectuait au sein de ces mêmes pays, un nombre largement en dessous de l’objectif communautaire de 25%. En comparaison, dans la zone euro, le commerce intrarégional est supérieur à 60%. Selon l’économiste Kako Nubukpo, les économies de l’UEMOA sont plus substituables que complémentaires les unes vis-à-vis des autres, étant donné la similarité des biens exportés et importés. Il donne ainsi l’exemple du coton : six des huit Etats de l’UEMOA exportent de la fibre de coton non transformée, et n’ont donc aucun intérêt à se l’exporter entre eux. Aussi, selon lui, cette extraversion des économies de l’UEMOA rend « quasiment sans intérêt le fait de partager la même monnaie ».
Une faible compétitivité des prix à l’export. Plusieurs économistes et chercheurs mettent en lumière le fait que l’arrimage du franc CFA à une monnaie forte telle que l’euro agit comme une taxe sur les exportations et une subvention sur les importations, rendant difficile un équilibre de la balance commerciale. Par exemple, selon un rapport publié en 2020 par l’Initiative Prospective Agricole et Rurale, plus de 70% des importations de riz des huit pays d’Afrique de l’Ouest proviennent de Thaïlande et d’Inde, pénalisant ainsi le développement et l’exportation d’une production nationale.
Un facteur d’inégalités. Selon les travaux du chercheur associé à l’IRIS Pierre Jacquemot, le premier défaut énoncé par les critiques du franc CFA est qu’il profite d’abord aux élites locales au détriment du collectif. Cet élément est exposé par l’économiste Kako Nubukpo pour qui l’arrimage du franc CFA à une monnaie forte va permettre aux plus riches africains de bénéficier d’une garantie de change sur leurs placements financiers et immobiliers en France et dans le monde, alors que le reste de la population aura elle une difficulté d’accès au crédit. Ce dernier parle également d’une « omerta » concernant les débats autour des avantages et inconvénients de la zone franc, ce qui alimente une méfiance de la part de la population.
Un héritage colonial. Ce rejet est aussi, selon l’économiste Emilie Laffiteau, une bataille symbolique pour une souveraineté pas seulement monétaire mais aussi nationale : le franc CFA, de par son nom « franc », reste un héritage fort de la colonisation de la France dans ces pays. En effet, selon l’économiste et sociologue Martial Ze Belinga : « Le franc CFA et les bases militaires sont considérés à peu près au même niveau. Et plus il y a une contestation, par exemple, de la présence des forces françaises, que ce soit au Mali, etc, et plus vous avez, en permanence, la contestation du franc CFA. ».
Cependant, selon l’économiste Emilie Lattifeau, malgré les discours critiques envers le franc CFA, dans la pratique, son utilisation reste de mise. Les acteurs économiques continuent de lui accorder une relative confiance comme intermédiaire aux échanges, unité de compte et réserve de valeur.
Aussi, de l’autre côté de la controverse, selon les travaux du chercheur Pierre Jacquemot, l’argument principal des partisans de la zone franc est qu’elle apporte une stabilité monétaire indispensable au développement économique de ses bénéficiaires. Selon le ministère des affaires étrangères français, la relative résilience des pays de la Zone franc face à la crise sanitaire en 2020 (0,3% de croissance) par rapport au reste de l’Afrique subsaharienne (1,7% de récession) témoigne des avantages d’un ancrage à l’euro.
Selon la Banque de France, la garantie de convertibilité apporté par la France permet une protection contre les risques de crise de balance de paiements et constitue également un arrangement financier régional qui concourt au filet de sécurité mondial. Selon l’économiste malien Mobido Mao Makalou, la libre convertibilité des francs CFA en euros permet également des transferts d’argent plus simple du franc CFA vers d’autres monnaies.
Enfin, les banques centrales étant contraintes de subordonner leurs objectifs de politique monétaire interne aux objectifs de la zone euro, elles ciblent une inflation maîtrisée et une devise stable, ce qui est favorable aux échanges et aux investissements. Ainsi, on constate que les pays de la zone franc arrivent à avoir, et ce depuis toujours, une inflation relativement limitée.
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