En 2021, 43% de la population du continent africain (600 millions de personne) n’avaient pas accès à l’électricité selon l’Agence internationale de l’énergie. Alors que le continent ne possède à ce jour qu’une seule centrale nucléaire, en Afrique du Sud, plusieurs pays étudient cette option pour combler leur déficit énergétique. Risk & Ops vous propose un état des lieux sur ces projets et enjeux sur le continent africain.
Actuellement, l'Afrique du Sud est le seul pays africain à disposer d’une centrale nucléaire opérationnelle. La centrale nucléaire sudafricaine de Koeberg dispose de deux réacteurs nucléaires, construits par l’entreprise française Framatome et mis en service en 1984 et 1985. Elle dispose d’une capacité totale d’environ 1800 mégawatts (MW), ce qui représente 5% de l'approvisionnement en électricité du pays selon l’Association nucléaire mondiale. Par ailleurs, le ministre sud-africain en charge de l’électricité, Kgosientsho Ramokgopa, a déclaré en décembre 2023 que le pays s’apprêtait à lancer un appel d’offres pour la construction d’une nouvelle capacité nucléaire de 2 500 MW.
Mais l’Afrique du Sud ne sera bientôt plus l’exception en matière de nucléaire civil africain. En effet, les projets et accords se multiplient. L’Égypte a ainsi inauguré en juillet 2022 les travaux de construction par l’entreprise publique russe Rosatom de sa première centrale nucléaire.
La centrale nucléaire d’El-Dabaa, financé à 85% par un prêt étatique russe, accueillera quatre réacteurs, d’une capacité de 1 200 MW chacun, avec une mise en service de la première unité dès 2026. Cette installation a deux finalités : la production d’électricité et la désalinisation de l’eau de mer. Les deux premiers réacteurs sont entrés en construction en 2022, le troisième en mai 2023, et le quatrième en janvier 2024. Bien qu’aujourd’hui la centrale égyptienne soit la seule dont la construction ait démarré, plus d’une dizaine de pays africains envisagent ou planifient l'utilisation de l'énergie nucléaire. Ces derniers comprennent le Ghana, le Kenya, le Mali, le Burkina Faso, le Nigeria, l'Algérie, la Libye, l'Éthiopie, le Maroc, le Niger, la Namibie, le Rwanda, le Sénégal, le Soudan, la Tanzanie, la Tunisie, l'Ouganda et la Zambie.
La société publique russe Rosatom s’impose donc comme un acteur majeur sur le continent où elle a multiplié les accords en l’espace de quelques années. En octobre 2023, cette dernière a signé un accord de construction d’une centrale nucléaire au Burkina Faso et un accord de coopération pour développer le nucléaire civil au Mali. En juillet 2023, Rosatom signait aussi un accord avec l’Ouganda et la Corée du Sud pour construire en Ouganda deux centrales nucléaires de 7 000 et 8 400 MW. Au même moment, la société signait une feuille de route pour la coopération en matière nucléaire avec l’Éthiopie ainsi qu’un protocole d’accord avec le Maroc pour la construction de stations de dessalement d’eau de mer fonctionnant grâce à des petits réacteurs nucléaires modulaires. Parmi la dizaine d’autres accords signés par l’entreprise il est également évoqué celui signé en 2016 avec le Kenya ou celui de 2017 avec le Nigeria pour la construction d’une centrale nucléaire et d’un centre de recherche.
Par ailleurs, lors du sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019, 18 pays africains avaient signé des accords de coopération avec Rosatom sur l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.
Ainsi, selon David Teurtrie, maître de conférences en sciences politiques à l’Institut catholique de Vendée et chercheur associé au Centre de Recherches Europes-Eurasie, le nucléaire est pour la Russie un moyen pour renforcer son influence sur le continent en apportant des solutions en matière de développement. Selon ce chercheur, la Russie possède deux atouts majeurs lui permettant d’étendre ses relations et son influence. Le premier réside dans le « package » nucléaire complet proposé par Rosatom, qui comprend la fourniture de combustible, la construction de la centrale, la formation des ingénieurs, ainsi que la collecte des déchets radioactifs, le second est le financement des projets par des prêts de l’État russe.
Si l’on prend l’exemple du Burkina Faso, la construction d’une centrale par Rosatom est considéré comme une opportunité pour le développement du pays. Le PIB du pays s’élevait à 15 milliards d’euros en 2020, ce qui correspond environ au prix brut d’une centrale nucléaire à réacteur à eau pressurée selon les estimations de Lova Rinel, chercheure associée à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris et membre de la Commission de régulation de l'énergie. Cette dernière estime également que le coût primaire, incluant la construction d’infrastructures (routes, logements, etc.) indispensables au fonctionnement de la centrale atteint les 30 milliards d’euros. Le coût et le temps total étant encore plus élevés s’ils incluent la formation d’ingénieurs ou l’acheminement et le transport sur des lignes à haute tension. Néanmoins, la chercheure ajoute que cette opportunité cache aussi un risque pour le Burkina Faso : “la perte de souveraineté sur l’énergie. La Russie maîtriserait une partie du réseau électrique et posséderait indirectement le pays”.
La maintenance d'une centrale nucléaire apparaît également comme un défi pour les pays africains
En effet, il s’agit d’un processus long et engageant sur plusieurs décennies. Selon Milko Kovachev, ancien chef du développement de l’infrastructure nucléaire de l’AIEA, la création des infrastructures nécessaires et la construction d’une première centrale nucléaire nécessiteraient 10 à 15 ans. Ces délais s’expliquant en partie par le manque relatif de compétences dans le nucléaire et par les régimes juridiques et réglementaires spécifiques qui doivent être mis en place pour répondre aux exigences de sécurité. Ce dernier précise également qu’un programme nucléaire, comprenant la construction, la production d’électricité et le démantèlement, nécessite un large soutien politique et populaire et un engagement national sur au moins 100 ans pour être réussi.
L’émergence d’une nouvelle génération de réacteurs, les petits réacteurs modulaires (PRM), pourrait néanmoins faciliter le développement de l’énergie nucléaire en Afrique. Ces derniers peuvent produire jusqu’à 300 mégawatts, soit environ un tiers de la taille d’un réacteur traditionnel. Pour l’Afrique, les PRM offriraient trois avantages principaux : un coût réduit, une construction plus rapide et des caractéristiques de sécurité intrinsèque et passive améliorées. Ainsi, selon Anthony Stott, chercheur associé au Centre de Vienne pour le désarmement et la non-prolifération, un PRM pourrait être déployé en 5 à 12 ans dans un pays en développement ayant peu ou pas d’expérience dans le domaine de l’énergie nucléaire. Dans le cas d’un pays possédant déjà de l’énergie nucléaire, un PRM pourrait être déployé en seulement 5 ans.
Le nucléaire pourrait apparaitre comme une solution d’aide au développement limitant les émissions de gaz à effet de serre, qui pourrait limiter les effets du changement climatique auquel le continent est particulièrement exposé. Dans son rapport « Impacts, adaptation et vulnérabilité » publié en 2022, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) souligne que 55 à 62 % de la main-d'œuvre subsaharienne est employée dans l'agriculture, un secteur particulièrement exposé aux impacts du changement climatique et que 95% des terres cultivées sont des terres dépendantes de la pluie pour leurs irrigations. Le rapport souligne également les impacts négatifs du changement climatique sur la production alimentaire, la croissance économique, la pauvreté, la biodiversité et la mortalité du continent. Dans ce contexte le nucléaire est vu par certains comme une solution permettant de combiner développement et lutte contre le changement climatique.
Une production électrique plus importante pourrait offrir de multiples opportunités de développement. Les usines de dessalement de l’eau de mer sont aujourd’hui utilisées par la majorité des pays du Golfe. Selon une étude publiée en 2022 par l’Institut français des relations internationales, aux Émirats arabes unis, 42 % de l'eau potable provient d'usines de dessalement, 90% au Koweït et 70% en Arabie Saoudite.
Leur développement nécessite des quantités importantes d’énergies et est également un sujet dans plusieurs pays d’Afrique tels que l’Algérie, le Maroc et l’Égypte où les 4 réacteurs actuellement en construction permettront d’offrir une capacité de dessalement importante.
L’énergie nucléaire est également perçu par certains comme un potentiel accélérateur pour le développement économique. Au Ghana, les exportations de bauxite constituent une source de revenus importantes. Mais ces dernières sont encore exportées sous forme brute, les infrastructures nécessaires à sa transformation nécessitant beaucoup d’électricité donc un coût important. Selon Nii Allotey, directeur du Nuclear Power Institute à la Commission ghanéenne de l’énergie atomique « Si nous disposions d’une électricité rentable, nous exporterions de la bauxite fondue à un prix beaucoup plus élevé. Ce serait une grande avancée pour le Ghana. ».
Enfin, selon la Commission africaine sur l’énergie nucléaire (AFCONE), l'Afrique représente près de 20 % des ressources d'uranium exploitables identifiées dans le monde. Ces ressources sont actuellement principalement exportées mais pourraient faciliter l'adoption de l'énergie nucléaire par le continent.
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